dimanche 3 avril 2016

Le bateau ivre de Mamadou


Fin août 2015, une information fuit : Ikililou Dhoinine soutient Mamadou à l’élection présidentielle. Les fidèles de Mamadou, qui rasaient les murs, prennent subitement du poil de la bête et certaines personnalités se sont approchées de ce dernier pour le soutenir. De fin août 2015 à début mars 2016, l’UPDC considérait les élections comme une formalité destinée à introniser ses candidats. Mais elle a insolemment creusé sa tombe en entachant le premier tour des élections de plusieurs irrégularités grossières. Et depuis la donne a radicalement changé : plusieurs manifestations contre les fraudes, signature d’un protocole d’accord destiné à sécuriser le prochain scrutin, modification des rapports entre Ikililou Dhoinine et Mamadou. Et surtout une alliance CRC/Juwa est signée.
Et depuis le bateau ivre prend littéralement l’eau et la ferveur a laissé place à l’inquiétude. Car depuis les élections législatives et municipales de 2015, tout le monde savait que c’est le candidat soutenu par Sambi qui aurait le plus de chance d’accéder à Beit Salam. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre les délires prononcés depuis ce dimanche 27 mars.
Mais en réalité, dès l’ouverture de la campagne, l’équipe de Mamadou a décidé de réécrire l’histoire comorienne en rendant Azali responsable de la crise séparatiste à travers des banderoles juste indécentes. Mamadou a-t-il déjà attrapé la maladie d’Alzheimer ? Oublie-t-il que c’est sous le régime malheureux de Taki dont il était l’un des acteurs majeurs d’ailleurs qu’est né le mal séparatiste qui nous ronge encore aujourd’hui ? Et qu’Azali a usé de toutes ses forces pour le réduire ?
Depuis ce dimanche, l’UPDC commence par minimiser l’accord signé entre la CRC et Juwa le considérant comme nul et non avenu du fait qu’il a été dénoncé par Ibrahim Mohamed Soulé, Sidi et Barwane. Elle oublie juste de dire qu’il a été signé par les candidats : Fahmi Said Ibrahim, Ahmed Abdallah Salim, Dr Abdou Salami et Mohamed Elhad. Un parti, c’est aussi (devrais-je dire peut-être d’abord) les hommes ; et les hommes les plus importants ont signé. S’il n’y a que le parti qui compte, pourquoi les soutiens de Mamadou se sont tant réjouis qu’Ahmed Jaffar (ancien patron du Mirex) les rejoigne ?
Mais je crois que les réactions qui manifestent le plus vulgairement cette peur bleue qui envahit Mamadou et son entourage sont celles de Said Larifou, Abdelaziz Riziki Mohamed et Darchary Mikidache.
Said Larifou avance qu’Azali a tenté de le corrompre avec la somme de 40000 € (20 millions fc). Dans cette histoire, c’est sa parole contre celle d’Azali. Mais en agissant de la sorte, il adopte une démarche discourtoise, malhonnête et stupide. Discourtoise car un homme de son rang ne dévoile pas des négociations destinées à être confidentielles (Mamadou devrait beaucoup s’inquiéter de ce que Larifou dira de lui dans les semaines prochaines !) ; malhonnête car il ne dit pas ce qu’il a vraiment négocié avec Mamadou ; stupide car il prend les électeurs comoriens comme des imbéciles. Car de quoi parle-t-on sérieusement dans les négociations électorales ? Eh bien de projets mais surtout d’argent et de postes. Il y a fort à parier que Mamadou lui a proposé plus qu’Azali, ce qui l’a conduit à signer avec lui !
Le tristement célèbre ARM (Abdelaziz Riziki Mohamed) reste le plus drôle. Cet homme, réussite universitaire (doublement docteur des universités marocaine et française), échec professionnel cuisant, traverse depuis plusieurs années, au mieux une crise existentielle sinon une dépression pitoyable. A plus de cinquante ans, il n’a jamais pu en fait se faire reconnaître, professionnellement à sa juste valeur, ni par la France ni par les Comores même sous le régime mohélien. Comme un serpent contrarié, il déverse son venin sur tout le monde. Pire : lunatique, il est capable d’encenser quelqu’un le matin et le fouler au pied le soir ! Il vient de franchir un nouveau pas : il passe de la dépression à la folie clinique. Azali, pour lui, avait des liens amicaux avec Oussama Ben Laden ! Or, Azali, comme le commun des mortels a des défauts mais certainement pas celui-là : c’est un homme pieux mais profondément laïque qui a aucune sympathie pour les terroristes.
Le plus étonnant de tous hommes déboussolés et inquiets de leur navire qui tangue reste Darchary Mikidache : intelligent, courtois, élégant et généreux, il est un savant mélange de la bourgeoisie mutsamudienne et parisienne. Haut fonctionnaire au ministère français des finances à Paris, il vient, lui aussi, de tomber grossièrement, dans la paresse et la bassesse intellectuelles et dans le simplisme béat. Il vient d’accuser Azali d’avoir détourné 40 millions d’euros (19 milliards fc). Il s’appuie pour cela sur un texte écrit par Thierry Vircoulon publié en janvier 2007 dans la revue catholique Etudes.
De quoi s’agit-il vraiment ? D’un haut fonctionnaire français anciennement employé par le Quai d’Orsay et l’Union européenne en Afrique du Sud et en République Démocratique du Congo. Dans ce document intitulé « l’Etat internationalisé », entre recherche universitaire de mauvaise qualité et article de presse mal ficelé, dans lequel il analyse les limites de l’intervention étrangère dans les transitions politiques en Afrique, il avance ceci : « […] aux Comores, comme l’atteste la récente découverte de 40 millions d’euros dans des comptes à l’étranger, le colonel Azali a pillé le Trésor Public et distribué les contrats publics à la coterie formée par ses proches. » Trois remarques au moins à faire là- dessus. Ce monsieur, mauvais chercheur sans pour autant être un bon journaliste, ne donne aucune référence de ce qu’il dit. Où ce compte se trouve-il ? Quelle banque ? Quel pays ? Rien : affirmation gratuite ! Azali aurait en plus distribué les contrats à ses proches. Soit. Mais les anciens proches d’Azali constituent aujourd’hui l’entourage de Mamadou : Houmed Msaidié, Abou Oubeid, Ahmed Djaffar (Mohoro). Darchary Mikidiache devrait peut-être regarder de ce côté-là aussi avant de répéter, tel un perroquet, des accusations gratuites. Enfin, comment peut-on s’appeler Mikidiache et être un soutien de Mamadou et oser accuser trop facilement Azali ? Mais c’est vrai : la peur fait perdre la raison quand le bateau à bord duquel on est embarqué, déjà ivre, va à la dérive.


Nassurdine Ali Mhoumadi, docteur ès Lettres et essayiste, est professeur de Lettres à Lyon.

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