lundi 7 septembre 2015

« Rester neutre pour etre appelé par le vainqueur à de hautes fonctions, cela ne correspond pas à ma mentalité ! » Dr Mahmoud Ibrahime


Docteur en histoire, Mahmoud Ibrahime s’est engagé pendant très longtemps dans le champ culturel. Ses engagements politiques étaient relativement timides et moins visibles. Aujourd’hui, il est élu secrétaire général du parti RADHI en France, nous l’avons rencontré pour nous entretenir avec lui et nous éclairer sur les raisons profondes de son engagement politique. Interview.



Vous êtes historien et l’un des intellectuels les plus engagés de votre génération dans le champ culturel. Ces dernières années, vous vous êtes beaucoup investi dans le champ politique, qu’est ce qui vous a conduit de la culture à la politique?
Dr Mahmoud Ibrahime: En réalité, je me suis plus investi dans le champ culturel, mais je ne viens pas d’entrer en politique. Je suis en politique depuis 1997. Être engagé en politique ce n’est pas forcément être dans un parti. Je n’ai jamais séparé mes activités de recherche, mes activités culturelles et la politique. D’abord parce que mes premiers enseignants, quand j’ai commencé à faire de l’histoire, des vieux soixante-huitards (et ceci explique sans doute cela) nous disaient en quelque sorte : « L’historien n’a pas d’autres laboratoires que le champ du social, engagez-vous dans les associations, dans les partis politiques et vous comprendrez mieux ce que vivaient ceux qui nous ont précédés ». Jusqu’à aujourd’hui, je me demande comment on peut faire de l’histoire en restant tranquillement chez soi, sans aller dans les confrontations politiques.
Vous vous engagez autour de la politique de l’actuel Ministre de l’Intérieur. Vos contradicteurs interprètent votre engagement non pas pour des convictions politiques, mais pour des raisons familiales. Que leur répondez-vous?

D’abord, j’aimerais bien connaître qui sont ces contradicteurs, comme ça la prochaine fois je pourrais répondre directement à leurs questions sans passer par la rédaction de l’Observateur des Comores.
Ensuite, je vous dirai que j’ai passé l’âge d’agir selon ce que pense un tel ou un tel. S’il y a une leçon que j’ai apprise depuis 1997 et dans mes engagements dans les associations de la diaspora, c’est d’agir selon ma conscience et de laisser parler les professionnels du YAKA et du FAUCON.
Mais pour en venir au fond de votre question : depuis quand Msaidié fait-il de la politique ? Je l’ai connu Ministre en 1994 avec le président Djohar. J’étais en maîtrise, je crois. Il a été très clair : continue tes études. Je l’ai retrouvé sous Azali. Peut-être que vous êtes un peu jeunes pour savoir le combat que la société civile en France a mené contre le régime du colonel Azali, mais ceux qui l’ont mené savent que j’étais au premier rang de ce combat, à chaque fois. Est-ce qu’il n’aurait pas été plus facile pour moi de suivre mon oncle à ce moment-là ? Ce que beaucoup ne savent pas, c’est que malgré mes attaques contre les gouvernements dont il faisait partie et contre le parti dont il était le SG (la CRC), il ne m’en a jamais tenu rigueur et on a toujours maintenu un dialogue, parce que c’est quelqu’un de très ouvert, y compris envers ses adversaires politiques. Ce fut et c’est encore une leçon pour moi. Est-ce que je ne pouvais pas alors aller voir mon oncle et lui demander de me nommer quelque part lui qui était un des barons du régime ? Est-ce qu’auparavant je ne pouvais pas le suivre alors qu’avec Abbas Djoussouf ils dirigeaient ce pays après la mort du président Taki ?
Mais, maintenant que j’ai rejoint son parti, alors qu’il était encore dans l’opposition et qu’il ne pouvait rien m’apporter, certains découvrent d’un coup que c’est mon oncle et ils pensent que je n’ai pas de cerveau, que je ne réfléchis pas, mais que je le suis bêtement parce que c’est mon oncle. Libre à eux ! Savez-vous qu’avant d’intégrer le RADHI j’ai plus parlé avec Midhoire Sagaf et Kamar Zamane (et d’autres amis moins connus) qu’avec Msaidié ? Citez-moi un autre exemple d’un Comorien de notre génération qui a eu son oncle aux plus hautes sphères de l’État qui n’a rien demandé et a continué à faire le travail pour lequel il a été formé ? Je reste persuadé que nous ne sommes pas nombreux.
Je sais qu’en entrant dans la politique comorienne je m’expose aux critiques des gens qui se croient plus intelligents que d’autres, mais mon objectif est d’apporter ce que je peux de la manière la plus efficace possible, à mon pays. Ce n’est pas facile, ni à l’intérieur du parti ni à l’extérieur. Le mieux et le plus facile auraient été d’attendre tranquillement qu’il soit élu président et demander le poste qui me plairait. Ou de préserver, comme beaucoup de cadres et intellectuels, une certaine neutralité qui permettrait à tout autre vainqueur de m’appeler à de hautes fonctions. Cela ne correspond pas à ma mentalité ! Mais, j’essaie, dans toutes mes activités, culturelles ou politiques, de me maintenir loin de l’hypocrisie ambiante et de faire mon chemin en préservant ma liberté. J’aime trop la liberté, la mienne comme celle des autres pour me laisser impressionner par des calomnies.
Pensez-vous que l’engagement politique des intellectuels est incontournable pour espérer changer le cours de l’histoire?
Déjà parler d’intellectuels et d’engagement c’est superflu. Un intellectuel c’est forcément quelqu’un qui est engagé. Mais ce mot est tellement galvaudé que rares sont les intellectuels comoriens qui osent le porter.
Les intellectuels ne sont pas obligés d’entrer en politique, par contre, refusant de prendre le risque que cela suppose, refusant de se salir les mains, ils doivent alors garder une certaine mesure dans leurs propos. C’est mon avis. Ceux qui passent leur temps, non pas à faire une véritable analyse de la situation, mais à dire de la classe politique actuelle : « Ce sont des incapables », il faut qu’ils descendent de leur piédestal, se montrent un peu plus modestes et viennent nous montrer ce dont ils sont capables eux-mêmes. C’est notre pays à tous et ceux qui ont les meilleures solutions doivent parvenir aux commandes si on veut vraiment aider le pays.
Dr Mohamed Ahmed Chamanga s’ était lancé en politique, et a subi un échec cuisant. Est-ce que cette claque politique ne vous en dissuade pas ?

Chamanga est le seul intellectuel ou professionnel de la politique à avoir connu un échec ?
Je suis vraiment entré en politique avec Chamanga, Mirghane et d’autres contre le séparatisme anjouanais en 1997. Quand, à neuf mois des élections, Chamanga m’a annoncé qu’il voulait se présenter comme candidat, j’ai d’abord essayé de l’en dissuader, mais j’ai compris que deux personnes parmi nos amis proches l’avaient déjà convaincu. Malheureusement, ces deux personnes n’ont jamais vraiment participé à la campagne de Chamanga ni politiquement ni financièrement. Cela peut donner des indications sur son échec. Nous autres (avec Salim Hatubou, Halidi Allaoui, Ben Amir Saandi, Ibrahim Mze…) nous avons tout fait pour éviter la catastrophe en investissant beaucoup d’argent et beaucoup de temps que nous aurions pu consacrer à nos familles.
Personnellement, je ne m’attendais pas à une victoire de Chamanga avec un engagement 9 mois avant les élections. Mais, au cours de notre entretien, il m’avait assuré que la campagne ne devait être que le début d’un engagement sur la scène politique et que nous allions ensuite former notre parti et essayer de changer les choses. Malheureusement, cela ne s’est pas passé comme prévu. Les échecs sont des leçons.
Vous êtes élu récemment secrétaire fédéral du parti RADHI en France, quel regard porteriez-vous sur les élections présidentielles prochaines, et quel rôle, souhaitez-vous jouer durant cette échéance électorale ?
Les élections présidentielles qui arrivent vont être très disputées et on le voit déjà. Il y aura plusieurs candidats. Mais, je pense que ne s’en sortiront que ceux qui ont une vision de l’avenir et un vrai fief dans l’île où échoient les présidentielles, Ngazidja. C’est pourquoi, au sein du Parti RADHI, je fais partie de la grande majorité des militants qui pensent que la candidature de Houmed Msaidié est la meilleure pour nous. Il allie l’expérience d’homme d’État (plusieurs fois ministre et même ministre d’État, souvent Porte-parole du gouvernement), une expérience aussi dans l’opposition (régimes Abdallah, Taki et Sambi), un fief qui lui a renouvelé sa confiance lors des dernières législatives en élisant son candidat. Je pense qu’il est parmi ceux qui ont maintenant une vision de ce qu’il faut faire dans le pays et qui ont la capacité de le faire, car il n’est inféodé à aucun groupe ou force étrangère et qu’il ose dire ce qu’il pense. Or les Comoriens ont besoin d’entendre certaines vérités et non d’un populisme qui a ruiné ce pays depuis un certain nombre d’années.
Propos recueillis par Msa Ali Djamal

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