samedi 31 octobre 2015

Livres.


 Chroniques d’un Comorien ordinaire


L’habit ne fait pas le moine. S’il est un adage qui irait bien à l’ouvrage de Anlym Mladjao, c’est bien celui-là, car si l’on se fiait à la seule couverture du livre, on serait en droit d’espérer ou de craindre un délire égocentrique étalé sur une centaine de pages.

Ceux qui espéraient que le livre soit l’appendice de ses interventions musclées dans les réseaux sociaux ont été déçus. Tant mieux ! Ici, le verbe est doux, presque féminin. Il vous prend par la main et se déploie avec la langueur des écrivants d’autrefois.

Ce texte aurait pu avoir comme titre « chroniques d’un comorien ordinaire ». Ce qu’il dit, nous l’avons entendu de bouche à oreille, d’homme à homme dans le cercle familial. Il y a de l’intime dans ce récit et des blessures évoquées sans pathos. On y parle bien évidemment de la migration, de la rencontre de l’Autre et du besoin de se trouver un point d’équilibre entre tradition et modernité. Le tout est traversé d’une colère retenue.

Par moments, certaines séquences ont des airs de monographie. C’est là une facette intéressante du livre mais hélas ce potentiel là est insuffisamment exploité. Plutôt que d’aller au bout de sa logique descriptive, l’auteur fait des excursions vers l’essai et l’analyse des contextes socio-politiques qu’il traverse. Ce faisant, il en arrive à manier des concepts qui demandent un développement plus conséquent que ce qu’il propose. D’où une double frustration chez le lecteur due à l’amputation du récit dans son déploiement et du caractère succinct – parfois léger – de l’analyse proposée.

Cependant, même si le mélange -audacieux- des genres “autobiographie” et “essai” peine à trouver un équilibre heureux, l’expérience de lecture est agréable du fait de la sobriété du style . Cela crée une attente quant au second texte de l’auteur. Une fiction nous dit-il.

Si le style d’écriture reste le même, il comblera certains lecteurs comoriens (pour ne parler que d’eux) qui pourfendent régulièrement le côté abscons des textes fictionnels ou poétiques qui leur sont proposés.

Reste à trouver le sujet. En dehors de lui, en dehors de sa personne. Reste à laisser l’imagination prendre le pouvoir.

Oluren Fekre

Mladjaou Abdoul Anlym, Rentre ou ferme-la, Editions Coelacanthe, septembre 2015, 167p., 15€

A commander sur http://www.editions-coelacanthe.com/PBSCCatalog.asp?ItmID=18153932

Diaspora, Livres, Opinion, Société and tagged biographie, Comores, Fekre, Mladjao, Oluren, société on . Poster un commentaire

Livre. Zaïd Omar nous offre une histoire d’amour sur fond d’enquête judiciaire

 Trois ans après la publication d’Une victime criminelle aux chez Edilivre, Zaïd Omar revient avec un nouveau roman Tu as volé mon cœur qui est paru ce mois-ci de éditions Coelacanthe. Dans ce livre, il est question d’amour, de jalousie, de trahisons, de la société, de la tradition, de la procédure judiciaire et de la politique. L’auteur mêle tous ces domaines pour faire un récit d’une centaine de pages dans lequel le lecteur est plongé tantôt dans une fiction, tantôt dans une réalité de la vie quotidienne aux Comores.

Dr Djazba, personnage principal du livre, chirurgien de l’hôpital national de Moroni est accusé d’avoir empoisonné son ex-épouse Tsintunde. Toutes les preuves sont contre lui et il se voit incarcéré à la prison de Moroni malgré le fait qu’il ait nié devant le juge ce dont-on l’accuse. Les preuves à l’encontre de l’accusé suffisent-elles pour que celui-ci soit reconnu coupable ? y-a-t-il eu une erreur judiciaire ? C’est ce que l’auteur, avocat au barreau de Moroni, fera découvrir à ses lecteurs à travers la procédure judiciaire.

Ce médecin était considéré comme un individu « à part entière » puisqu’il a refusé de réaliser le grand mariage, ce qui lui valut toutes les critiques de son ancienne belle-famille. La tradition et les coutumes de son pays ne le préoccupaient pas. Djazba avait divorcé avec la mère de sa fille et vivait une relation amoureuse avec Nathalie, une jeune femme qu’il avait rencontrée avant son mariage avec Tsintunde. Passionné de politique, le chirurgien voulait se présenter aux élections des gouverneurs des îles et les sondages étaient en sa faveur.

Ne comprenant pas ce qui lui arrivait, Djazba doit désormais faire face à son emprisonnement. Quelqu’un lui en veut au point de le piéger et le faire endosser la mort de son ex-femme ? Son amour passionnel avec Nathalie a-t-elle quelque chose à avoir avec la mort de son ex ? S’agit-il d’une personne qui veut entacher sa carrière politique ? Le narrateur délivre peu à peu les réponses à ces questionnements, à la Higgins Clark.

Cette oeuvre nous interroge sur les aberrations judiciaires et nous interpelle. Il nous demande d’avoir un œil sur ce qui passe dans nos sociétés. Le dénouement de l’histoire fait penser à la fameuse citation de Machiavel « la fin justifie les moyens ».

Natidja HAMIDOU

Zaïd Omar, Tu as volé mon coeur, Coelacanthe, octobre 2015, 147p., 14€.

A commander sur www.editions-coelacanthe.com

Livres, Société and tagged Djazba, editions coelacanthe, hamidou, natidja, Omar, zaid on . Poster un commentaire
Livre. L’Islam et la République selon Bajrafil



Livre de Bajrafil



C’est à la reconstruction d’un islam de France que nous invite Mohamed Kassim Bajrafil dans son premier ouvrage intitulé Islam de France, l’An I aux éditions Plein Jour. Celui que les médias français ont surnommé « l’Imam d’Ivry » revient sur cette incompréhension grandissante entre les musulmans et les autres communautés en France, au gré des attentats commis par des gens qui se sont emparés de l’étendard de l’Islam, mais aussi des nombreux actes islamophobes. Il est donc apparu à l’auteur comme une nécessité de faire comprendre aux Français et particulièrement aux Français musulmans ce qu’est le vrai Islam, une religion qui apparaît tout au long de la lecture comme une religion de paix, de tolérance, de dialogue et d’interrogation.

Le message qui transparait dans ce livre, c’est qu’il faut revenir à l’esprit originel de l’Islam. En disant cela l’Imam n’a pas pour objectif d’encenser le passé et de croire qu’on peut vivre comme au temps du prophète. Au contraire, il pense qu’en revenant à l’esprit de l’époque, nous pourrions mettre fin à la « glaciation » qui a figé la pensée islamique et que cela nous permettrait de combattre aussi bien le terrorisme que l’islamophobie qui a connu ces derniers temps un boum extraordinaire en France (une augmentation de près de 500% des actes contre les musulmans). Il appelle tous les musulmans à « arracher le Coran des mains des criminels » (p.30).

« Être musulman, c’est surtout être libre »

Pour cela, Bajrafil demande que les musulmans s’emparent de nouveau et d’une manière individuelle de l’interrogation sur le Coran. Il rappelle que l’islam n’admet pas de clergé et que par conséquent chacun est appelé à contribuer à la compréhension du message divin comme ce fut le cas de sa naissance jusqu’au Xe siècle. Pour lui, il n’y a consensus que sur les piliers de l’Islam, « tout le reste est le domaine de la pensée humaine libre, se formant par confrontation de points de vue… » (p.66).

Il explicite les termes soulevés par les terroristes et employés par ceux qui veulent entacher l’Islam en s’appuyant sur sa grande connaissance des textes et de l’histoire. La shari’a est vue comme un ensemble des lois très répressives ? Bajrafil nous explique qu’il n’y a pas de pays qui se rapproche le plus de cette idée que les pays occidentaux, et notamment la France qui a mis en place une sécurité sociale et dont l’État a le souci de la liberté individuelle et subvient aux besoins des plus nécessiteux.

Le djihad est vue comme un appel au meurtre, en particulier de ceux qui ne sont pas musulmans ? Bajrafil rappelle que le « grand djihad » est d’abord une lutte intérieure « contre les pulsions qui nous animent » (p.32).

Lorsque l’État Islamique voudrait imposer la califat comme un modèle préconisé par Dieu, Bajrafil affirme que ce système n’a rien de sacré. Il explique que ce qui est préconisé dans le Coran c’est une organisation dans laquelle règne l’équité et où chacun peut se réaliser sans faire de tort à l’autre.

Le salafisme serait le retour d’une vie conforme à celle du prophète ? Il n’est pour l’imam que « glaciation » et « violence barbare » là où les premiers salafs exigeaient réformes et débats contradictoires.

Pour Bajrafil, l’Islam est conçu dès le départ comme religion d’ouverture et de dialogue avec les autres religions monothéistes. Il rappelle que le prophète a demandé de protéger « les gens du livre » (Chrétiens et Juifs) et qu’il est l’auteur d’une « Constitution de Médine » dans laquelle la liberté religieuse est reconnue aux Musulmans, Juifs et Chrétiens. Face à ceux qui sortent des passages du Coran en prétendant qu’ils demandent de s’attaquer aux Juifs, il rappelle qu’il ne s’agit que d’une tribu juive (qui a trahi le pacte de Médine), à un moment donné et seulement parce qu’il était en guerre contre cette tribu particulière. Les passages du Coran ne sont donc pas contre les Juifs en général, mais contre cette tribu juive (les Banu Qurayza).

L’Islam est compatible avec la laïcité et la République

Dans le contexte d’aujourd’hui, Bajrafil affirme qu’il faut considérer « la foi de l’autre comme égale à la sienne ». C’est ainsi qu’il aboutit à l’idée, souvent mise en cause en France par certains penseurs, que « l’Islam (…) est non seulement compatible avec la laïcité, mais il est laïque par essence : il ne demande à la société que d’offrir aux hommes les conditions de leur épanouissement… » (p.88). Il place la priorité dans la paix sociale, l’égalité et des conditions de vie décentes au sein de la République.

Enfin, Bajrafil met en avant la capacité et la volonté d’adaptation selon les époques et les lieux. Il faut donc comprendre et suivre le dogme mais il faut aussi comprendre le monde dans lequel nous vivons (le deuxième livre que Dieu nous a donné) pour être un bon musulman. Il écrit ainsi : « les fondations ne sont pas pour autant la totalité de la maison. Il y a le reste, la vie, la réalité humaine dans ses multiples dimensions » (p. 26). Cela se résume par cette distinction que tout jeune comorien apprend dès son plus jeune âge, entre la religion et le monde ou la vie (dini/duniya). Ou encore cette pensée de l’Imam al-Shanfii qui dit qu’il n’y a pas de vie sans changement.

C’est donc par ignorance de la religion musulmane que certains incultes se déclarent religieux et entrainent des jeunes dans la folie meurtrière. Face à eux Bajrafil affirme sans ambages : « Il faut être à leur égard d’une fermeté absolue ». La responsabilité première revient aux musulmans de dire à ceux qui tuent au nom de l’Islam « que ce qu’ils font est blasphématoire, négateur de la substance même de la foi… » (p.78).

Ce livre n’est pas seulement un livre sur la religion, sur l’Islam, c’est aussi un hymne à l’amour que Bajrafil voue à une France idéale, à un modèle de société qui protège l’individu en lui accordant toutes sortes de liberté et en veillant à son bien être. C’est en quelque sorte une réponse qu’il apporte à des milliers de jeunes musulmans nés dans ce pays et qui se posent des questions sur ce que doit être leur comportement et leur chemin. Cet amour de la République même idéalisée, même en tant qu’hypothèse et modèle à construire est sans doute une barrière de protection que l’imam pose entre l’État Islamique et les enfants musulmans de France. Il leur dit que face à la barbarie sans nom et sans drapeau (celle de l’État Islamique mais aussi celle des Islamophobes), la République est notre bien commun et il faut la défendre.

Mahmoud Ibrahime

Mohamed Bajrafil, Islam de France, l’an I. Il est temps d’entrer dans le XXIe siècle. Plein Jour, sept. 2015, 147p.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire