lundi 11 août 2014
COMORES : La France, Mayotte et le Gouverneur d'Anjouan
Il fut un temps où tout paraissait simple aux Comoriens. Les méchants se rangeaient sur un côté, les bons de l'autre. Le monde se résumait en deux couleurs bien distinctes, la blanche et la noire. Il y avait la couleur du colon, il y avait celle de l'oppressé, et personne ne voulait ou ne pouvait se tromper. Sans avoir à forcer, le moindre du monde, sur un manichéisme de principe, les rôles étaient campés à la perfection par les protagonistes. Les premiers jouaient aux prédateurs, les seconds aux victimes. Et seul bémol...
De temps à autre, s'ouvrait une voie de dissidence, qui ne souffrait pas d'indifférence, mais qui ne perdurait que de façon intermittente, dans le paysage. Ceux qui s'y engouffraient ne savaient pas toujours raison garder. Ils étaient incapables notamment de voir la poutre danser dedans leurs yeux, tellement ils étaient concentrés sur la seule chose dont ils étaient à peu près sûrs. Le mal absolu s'incarnait chez l'adversaire, venu du lointain, pour s'improviser voisin de toujours. Nous avions la France d'un côté, les Comores de l'autre. Et il n'y avait aucun risque de confusion.
Puis il y eut l'émergence d'une scène politique nationale, tellement bouffée par son égo, qu'elle finit par oublier l'humanité la portant aux nues. De cette époque date des vagues de compromission, jamais imaginées par le citoyen de ces îles auparavant, servant à démanteler définitivement le pays. Fini le temps où l'on célébrait Masimu, na Mtsala et Patiara. Fini le temps où l'on discourait sur Abdou Bacari Boina, le Molinaco et le Pasoco. Fini le temps où l'on craignait l'audace du mongozi révolutionnaire, Ali Soilihi. Fini le temps du msomo wa nyumeni, des tracts sous le manteau. Des Ali w'Adili, Gaya et Mnamdji, défiant une garde prétorienne à eux tous seuls. Bref, fini le temps de la dissidence...
D'aucuns se sont chargés de sonner le cor de la reddition finale. Courage, vérité, combat, espérance. Que des mots ! Rien que des mots qui n'ont plus eu de sens, en ces années où la realpolitik transforma nos concitoyens en mouton de Panurge. Il ne manquait plus que la stèle permettant de penser que le Comorien est bel et bien mort sur sa terre de survie. Sans doute que si cela pouvait continuer encore un peu, cette fameuse stèle serait offerte par un pays ami, qui s'appellerait la France. Ironie de l'histoire, qui se poursuit sans qu'un grain de sable ne survienne, semant le doute dans cette mêlée. Sortez les chapelets, rendez-vous au cimetière. Entre Anjouan et Mayotte, on enterre l'ineffable. Et il n'y a plus rien à faire. A moins de vouloir jouer aux chiens qui aboient pendant que passe la caravane. Combien sont-ils à camper ce rôle, sans chercher à savoir le sens d'une action politique dissidente, située hors des slogans.
Certains parviennent même à perturber le jeu, avec bagout parfois, comme lorsque le président Ahmed Abdallah Sambi a réussi à bloquer les refoulements de Comoriens depuis Mayotte, au nom du droit international. Cela ne dura pas longtemps, hélas. Puisqu'en trois semaines, un petit ambassadeur français réussit à faire entendre raison au président de la nation. Mais ne voilà-t-il pas qu'émerge de ce bourbier sans nom une éclaircie depuis ce 7 août 2014. A quelques jours, en effet, de l'arrivée aux Comores d'un président français, François Hollande, dont les intentions belliqueuses de contrôle de la zone océan indien sont affichées de façon scandaleuse, avec l'assentiment des chefs d'Etat et de gouvernement de la Commission de l'Océan indien (Seychelles, Madagascar, Maurice, Réunion et Comores réunis), il s'exprime une conscience en éveil. Celle du gouverneur de l'île autonome d'Anjouan, M. Anissi Chamsiddine.
Il y a longtemps que cette chose n'était pas arrivée dans ces îles. Monsieur le gouverneur Anissi nomme les morts du Visa Balladur, accuse l'adversaire de génocide qui ne dit poing son nom, se refuse à la déportation de la population comorienne depuis Mayotte. Et il pourrait s'arrêter là. Mais non ! Il avance une voie de sortie, puisqu'il propose d'armer les kwasa kwasa incriminés par la police française des frontières, présente dans l'archipel, avec des bouées de sauvetage. Mieux ! Il réfléchirait, semble-t-il, à une loi, permettant de coller une amende à chaque compagnie de voyage, transportant un sans-papier prétendu sur le sol comorien, vu depuis Dari Nadjah. Ce qui revient à dire que les mots du gouverneur vont possiblement entrainer des mises en actes.
Ce qui pourrait être considéré par la Cour pénale internationale comme étant un exercice condamnable de déportation de population par la France sur un territoire étranger (encore faut-il que l'Etat comorien se constitue en accusation auprès de cette cour), va devoir s'arrêter, à Anjouan, du moins. Il ne pourrait plus y avoir de refoulés, ou alors, il faudrait que la France, de Mayotte, envoie ses faux clandestins dans des pays tiers, des pays voisins. Et en attendant la dite loi, le gouverneur s'engage à fournir les bouées et les conseils de sécurité pour toutes personnes organisant un voyage entre Anjouan et Mayotte. Une manière de rappeler que l'Etat comorien ne peut être complice indéfiniment du non-respect du droit international en ces eaux par la France, qui empêche ainsi les Comoriens de circuler dans leur propre pays.
Peut-être que le gouverneur se dédira un de ces quatre. Peut-être qu'il oubliera le sens même de ce qu'il envisageait dans son discours du 7 août. Mais nous sommes en droit de reconnaître là un exercice de dissidence politique inespéré dans cet archipel, qui demande à ce que la société civile, dans son ensemble, s'engage à mettre la pression pour que cette voie de sortie soit suivie d'effets. Le gouverneur donne un autre visage du gotha politique national. Il faut juste le prendre au mot ! La politique se résumant à un rapport de forces à flux tendu, faisons en sorte que. Car le gouverneur, seul, n'y arrivera pas. Et il n'est pas question de s'indigner ici. Il est question d'agir. De mettre fin à l'existence de ce cimetière marin que la France entretient, sans pitié aucune, dans les eaux comoriennes, avec des milliers d'innocents qui s'en vont sous l'eau, chaque année, après une longue traque en mer, les transformant en migrant et en clandestin, dans leur propre pays.
Une honte et une tragédie, dont la France, une grande nation se revendiquant des droits de l'homme, doit cesser d'orchestrer en nos eaux. Le dialogue souhaité entre nos deux Etats ne peut se forger dans le silence des milliers de morts du Visa Balladur, et dans la rage contenue des milliers de refoulés de Mayotte sous contrôle. Cette réalité politique nous laisser entrevoir le pire pour l'avenir dans un avenir proche. Mais il nous appartient d'infléchir le cours des choses et de dire non à ce qui n'a pas lieu d'être. La mise en cage de toute une humanité.
Soeuf Elbadawi, artiste et auteur.
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