mercredi 23 juillet 2014
LES BIENS MAL ACQUIS : La cour de cassation valide la plainte
La Cour de cassation valide la plainte contre trois chefs d’État africains
La Cour de cassation vient de juger recevable la plainte de l’ONG Transparence Internationale dans l’affaire des “biens mal acquis”, ce patrimoine de chefs d’État africains étrangement disproportionné par rapport à leurs ressources officielles, et à la pauvreté de leurs concitoyens.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé recevable, mardi 9 novembre, la plainte de l’association Transparence Internationale contre trois chefs d’État africains : Denis Sassou Nguesso, du Congo Brazzaville, Omar Bongo, du Gabon (décédé) et Téodoro Obiang, de Guinée équatoriale.
L’ONG les met en cause, avec des membres de leur famille, pour l’acquisition d’un patrimoine mobilier et immobilier totalement disproportionné par rapport à leurs émoluments et au niveau de vie de leur population (voir à ce sujet Messages du Secours catholique de juin 2009). L’ONG spécialisée dans la lutte contre la corruption évalue à 160 millions d’euros le patrimoine immobilier en France des trois présidents.
Plusieurs autre organisations nongouvernementales ayant également porté plainte, depuis mars 2007, voient enfin leurs efforts récompensés.
Préjudice direct et personnel
L’arrêt du 9 novembre casse la décision par laquelle la Cour d’appel de Paris déclarait irrecevable, en octobre 2009, la plainte de Transparence Internationale. Contrairement à la Cour d’appel, la Cour de cassation estime que l’ONG a bien subi « un préjudice direct et personnel ». Cette décision ouvre à la voie à la saisine d’un juge d’instruction indépendant pour enquêter sur l’affaire des “biens mal acquis”.
Transparence Internationale a salué « une avancée juridique considérable ». L’avocat de l’ONG, Me William Bourdon, s’est réjoui de ce que « cette brèche judiciaire […] permet d’envisager le procès de ceux qui s’enrichissent au détriment de leur population depuis des décennies, ce qui permettra un jour la restitution de ces avoirs illégalement acquis ».
Main basse sur les ressources
Pour Marc Ona Essangui, coordinateur au Gabon de la coalition internationale “Publiez ce que vous payez” (dont est membre le Secours Catholique), « le fait que nos responsables africains savent qu’ils peuvent être poursuivis même en exercice, peut les pousser à réduire ce phénomène de main basse sur les ressources alors que les populations croupissent dans la misère » Marc Ona Essangui, emprisonné douze jours début 2009, est soutenu par le Secours Catholique dans sa lutte contre la corruption.
De son côté, Me Patrick Maisonneuve, avocat du président gabonais Ali Bongo, fils de l’ancien président Omar Bongo, objecte qu’« il s’agit de faits anciens et [que] la décision de la Cour de cassation ne préjuge en rien d’une quelconque responsabilité d’un membre de la famille Bongo"
Me Pardo, l’avocat du président de Guinée équatoriale, affirme pour sa part qu’« il n’y a rien dans ce dossier contre [son] client » et que l’ouverture d’une enquête « ne signifie pas pour autant que ce que dit [Transparence Internationale] est juste ».
Une liste impressionnante de biens
Voitures de luxe, résidences cossues, comptes bancaires : les policiers français avaient mené en 2007 une enquête approfondie sur les biens détenus en France par des chefs d’État africains, avant d’être finalement classée par le parquet de Paris.
L’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) avait détaillé le patrimoine du Gabonais Omar Bongo, décédé en 2009, du Congolais Denis Sassou Nguesso et de l’Équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema, tous visés par la plainte de l’ONG Transparence Internationale.
Le contenu de cette enquête avait été transmis en novembre 2007 au parquet de Paris, qui l’avait finalement classée.
Dans ce rapport, les policiers relevaient notamment que leur enquête avaient « mis au jour un parc automobile conséquent ». Un fils de M. Obiang aurait ainsi fait « l’acquisition en France d’une quinzaine de véhicules pour un montant de plus de 5,7 millions d’euros ».
Selon les policiers, « le financement de certains véhicules apparaît pour le moins atypique ». Plusieurs enfants de ces dirigeants africains auraient ainsi réglé des véhicules de luxe, tels que des Mercedes, Aston Martin ou Ferrari, par des chèques émis par des sociétés ou des tiers.
Un patrimoine de 160 millions d’euros au total
L’OCRGDF a également mis au jour « un patrimoine immobilier important », localisé dans des quartiers à forte valeur marchande : les VIIème et VIIIème arrondissements de Paris pour Omar Bongo et son épouse, le XVIème et Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) pour un de leurs proches, Le Vésinet (Yvelines) pour le frère de Denis Sassou Nguesso, et pour d’autres Nice ou encore Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).
La superficie de ces appartements ou maisons est le plus souvent supérieure à 100 mètres carrés. D’après Transparence Internationale, le patrimoine immobilier des trois chefs d’État en France s’élèverait au total à 160 millions d’euros.
L’enquête a également permis de constater l’acquisition en juin 2007 d’un hôtel particulier, situé dans le VIIIème arrondissement de Paris, pour près de 19 millions d’euros par une société civile immobilière, la SCI de la Baume, « dont l’un des porteurs de parts est Edith Sassou Nguesso, fille de Denis Sassou Nguesso et épouse d’Omar Bongo », relèvent les policiers.
Les enquêteurs ont par ailleurs fait l’inventaire des comptes et livrets bancaires détenus en France par les chefs d’État et leurs proches.
Ainsi, l’un des fils d’un dirigeant africain disposerait à lui seul de huit comptes ou livrets dans une banque niçoise. Une proche d’un autre chef d’État africain aurait quant à elle dix comptes dans trois banques parisiennes.
Si les chefs d’État en exercice bénéficient d’une immunité présidentielle contre d’éventuelles poursuites judiciaires, les membres de leur famille ne pourraient jouir d’une telle immunité que « s’ils accompagnent le chef de l’État lors d’une visite officielle », notaient en 2007 les policiers.
Michel Roy, directeur du Plaidoyer international du Secours Catholique se réjouit de l’arrêt de la Cour de cassation et salue une décision « juste » qui fait preuve d’indépendance face aux pressions du pouvoir politique. Il espère que la justice va reprendre le dossier des “Biens mal acquis” pour faire au moins la clarté sur ces acquisitions immobilières « scandaleuses ».
Ensuite pourrait se poser le problème de la restitution aux États que dirigent ou qu’auront dirigé les chefs d’État poursuivis. « Il faudrait placer les sommes sur un compte séquestre à débloquer sous condition d’affectation des fonds à des projets de développement », propose Michel Roy.
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